« Que dit le code ? » ou comment interdire le vélo sans le dire

Un récent article d’Ouest France titré « Faut-il laisser passer un cycliste qui attend à un passage piéton ? » illustre parfaitement comment le choix des questions oriente le débat public sur la mobilité cyclable – et comment ce cadrage dessert la sécurité de toutes et tous.

Le piège du cadrage journalistique

L’article pose une question apparemment simple et y répond en citant le code de la route : non, les cyclistes n’ont pas la priorité sur un passage piéton, sauf s’ils et elles descendent de vélo. Point final, circulez.

Mais c’est justement là que se trouve le piège. En limitant le débat à « que dit le code de la route ? », Ouest France enferme la discussion dans une logique binaire qui aboutit mécaniquement à une seule conclusion : les cyclistes doivent mettre pied à terre. Ce qui revient à dire, sans jamais l’écrire explicitement, qu’ils et elles ne peuvent pas circuler à vélo en sécurité aux carrefours.

La vraie question qu’on refuse de poser

La question que devrait poser Ouest France : « Pourquoi nos carrefours forcent-ils les cyclistes à choisir entre légalité et sécurité ? »

Car si les cyclistes empruntent les passages piétons, ce n’est pas par plaisir de contrevenir au code. C’est parce que dans l’immense majorité des cas, il n’existe AUCUN aménagement cyclable pour traverser en sécurité. Pourtant, ce n’est pas une fatalité : des solutions éprouvées existent pour sécuriser les traversées cyclables aux carrefours – sas vélo, feux dédiés, traversées marquées et protégées. Mais ces aménagements restent l’exception, les collectivités préférant maintenir le statu quo dangereux.

Face à une infrastructure défaillante, les cyclistes font face à trois choix impossibles :

  1. Rouler sur la chaussée non aménagée et se mettre en danger mortel
  2. Descendre systématiquement du vélo, c’est-à-dire renoncer à se déplacer efficacement
  3. Emprunter le passage piéton en roulant – enfreindre le code mais rester en vie

En refusant de créer des traversées cyclables sécurisées, les collectivités créent elles-mêmes cette situation conflictuelle. Mais c’est plus facile de pointer du doigt les cyclistes « hors-la-loi » que d’interroger les responsables de l’aménagement urbain.

Quand l’infraction devient permis de tuer ?

Plus inquiétant encore : les commentaires sous la publication facebook de l’article révèlent que beaucoup d’automobilistes semblent penser qu’une infraction au code justifie de mettre en danger la vie d’un·e cycliste.

Rappelons une évidence : même si un·e cycliste traverse « illégalement », cela ne donne JAMAIS le droit de foncer. Le code de la route impose aussi d’adapter sa conduite et d’anticiper les erreurs des autres usager·ère·s. Voir quelqu’un·e en infraction n’est pas un permis de tuer.

La responsabilité du plus fort (la voiture) envers le plus vulnérable (le·la cycliste) existe toujours, infraction ou pas. Il est terrifiant de constater que certain·e·s conducteur·rice·s considèrent qu’un passage piéton emprunté à vélo mérite la peine de mort.

Pour un vrai débat sur la sécurité routière

Au lieu de se demander qui a tort ou raison selon le code, posons les vraies questions :

  • Pourquoi acceptons-nous des carrefours qui forcent les usager·ère·s à choisir entre légalité et sécurité ?
  • Comment créer des traversées sécurisées pour TOUS les modes de déplacement ?
  • Quand les collectivités vont-elles enfin prendre leurs responsabilités en matière d’aménagement cyclable ?

Un journalisme constructif ne se contenterait pas de citer le code de la route. Il interrogerait les causes profondes de ces conflits d’usage et pousserait les décideur·euse·s à créer des infrastructures qui permettent à chacun·e de se déplacer en sécurité, à pied comme à vélo.


L’article d’Ouest France : Faut-il laisser passer un cycliste qui attend à un passage piéton ?